Depuis des siècles, la féra frétille dans les eaux du Léman, excitant la convoitise des pêcheurs et, bien entendu, des cuisiniers. Pas étonnant, donc, de découvrir une manière de l’accommoder dans le premier livre de recettes paru dans le canton en 1798, La cuisinière genevoise.
Dans l’édition de 1817, réédité par les éditions Slatkine, la ferra (sic) passe sur le gril. Elle est d’abord engraissée avec du beurre frais, assaisonnée de poivre et sel, et maintenue entre quatre petits bâtons reliés par du fil pour qu’elle reste bien droite. Pendant qu’elle dore sur la braise, on hache des fines herbes, on les mélange à du beurre sans oublier de saler et poivrer, on ajoute trois clous de girofle, un peu de fleur de muscade et on pétrit le tout. Lorsque la «ferra» est cuite, on la farcit de cette préparation et on la sert illico.
Un petit siècle plus tard, le professeur de cuisine genevois Louis Maillard propose plusieurs recettes de féra (avec un seul r, désormais). Il la plonge, par exemple, dans la friture après l’avoir enrobé de lait et de farine. Chaleur moyenne pour débuter, puis plus forte pour bien dorer le poisson. À noter que le chef propose du persil frit en accompagnement.
Autre méthode, la féra «à la bonne tante». Le poisson est allongé dans un plat beurré, arrosé de vin blanc et enduis d’un mélange de beurre, d’oignon et champignons hachés et de persil. On le saupoudre ensuite de chapelure, on arrose de beurre fondu et on enfourne à haute température pour 15 à 20 minutes. Louis Maillard propose aussi de napper une féra poêlée au beurre ou rôtie au four d’un beurre maître d’hôtel fondu et tiède. Il est malaxé avec un jus de citron, du persil haché, sel et poivre.
Toutes ces préparations débouchaient inévitablement sur des surcuissons. La chair devait devenir cotonneuse…
Valable encore aujourd’hui, les filets de féra s’accordent parfaitement avec la sauce genevoise qui accompagnait la plupart des poissons dans les cuisines familiales. Cette variante de la sauce poulette, comme nous l’a souligné l’ami Daniel Ficht, consiste à réaliser un roux, à le mouiller avec le court-bouillon qui a servi à pocher la féra et de finaliser la sauce en la liant avec de la crème fraîche additionnée d’un jaune d’œuf et en la relevant d’un filet de citron.